Bande annonce
Masahiro Ikeno : interview autour de Malicious Code
MALICIOUS CODE se terminera en février, avec un quatrième tome pour ce thriller d’action semi-futuriste, sanglant comme il faut et qui fait son petit effet rayon distraction. On fait le point sur ses spécificités, avec le renfort de son auteur Masahiro Ikeno, que nous avons pu interviewer à Japan Expo 2013.
Néo-Tokyo, again an’ again
Pour trancher dans le pitch façon boucher, MALICIOUS CODE = bastons d’ados dopés aux super-pouvoirs, cloîtrés dans un quartier fantomatique de Tokyo où ils peuvent s’étriper à loisir. Ils sont là, livrés à la loi du plus meurtrier, après avoir été contaminés par le virus Pandora, qui agit comme un virus informatique (on y reviendra) et l’on suit un petit groupe qui tente de survivre et de comprendre dans quel but ils sont manipulés comme des rats de laboratoire, c’est à dire comprendre à qui peut bien profiter ce massacre…
On vous laisse découvrir les détails de ce point de départ, indistinct parmi la masse des rejetons plus ou moins directs d’AKIRA mais qui a le mérite d’être fonctionnel et de permettre au mangaka d’aller droit au but, droit à l’idée centrale ayant motivé la création de ce manga :
« les combats psychiques ont été la première idée à la base du manga, de son concept. Je lis moi-même pas mal de shônen et j’avais accumulé une certaine frustration en lisant certains mangas, je n’y trouvais pas mon compte, alors avec MALICIOUS CODE j’ai vraiment essayé de dessiner ce que moi j’aurai envie de lire ».
Des combats nerveux et qui n’épargnent pas les enveloppes charnelles, mais dans le fond jamais offensants : ça gicle, ça éclabousse, cependant avec peu de conséquences si ce n’est la mort prématurée d’un personnage attachant, qui permet de faire monter la tension dès le début et d’envoyer un avertissement au lecteur.
Le prof et le mangaka
On perçoit rapidement que le dessinateur est un adepte des combats âpres et punchy, et qu’à ce petit jeu il est plutôt doué, ses affrontements étant tous scénarisés et rythmés. Derrière ce vrai plaisir offert par MALICIOUS CODE, on sent en revanche que le mangaka a du couler son affection pour la violence dans le moule du magazine de prépublication de son bébé. Ce magazine, c’est Comic Gene, un mensuel shônen trèèès lu par les filles comme en témoignent des séries comme BLACK BARD, ANTIMAGIA ou encore MEPHISTO.
« Au Japon, les combats peuvent être très encadrés par les éditeurs, qui posent des limites. Certains magazines demandent ainsi aux auteurs de ne pas mettre trop de sang par exemple. Mais avec Comic Gene, ça passe ».
C’est vrai que les planches de MALICIOUS CODE ne manquent pas d’entailles et de giclées d’hémoglobine, c’est même un élément graphique à part entière, utilisé avec une certaine élégance par le mangaka dont le trait pointu et incisif déploie une agressivité non feinte. Sa responsable éditoriale (Mayumi Kawabe), qui assiste à l’interview, intervient et apporte un autre éclairage :
« Comic Gene cible un lectorat féminin ; on voulait que les combats leur plaisent, donc il fallait de beaux garçons, et il fallait aussi qu’ils soient impressionnants et fassent battre le cœur des lectrices ». Comprenez : « ils sont beaux, ils se cognent comme des teignes, mais sans non plus s’éviscérer et se décapiter à tour de bras ».
En ressort une impression étrange : des combats intenses, certes, mais qui peuvent procurer la même frustration que celle vécue autrefois par Ikeno.
Pas de quoi bouder ce qui reste l’aspect le plus motivant de cette série. Le mangaka a bossé comme un malade son dessin, ça saute aux yeux. Il possède un style assez personnel, élancé, anguleux et détaillé, déjà complètement maîtrisé et qui ne laisse pas un détail au hasard. Vastes décors en piteux état, expressions faciales tordues et sardoniques, mouvements nerveux, chara-design de caractère, nouveaux personnages aux formes inhumaines… Ikeno a vraiment soigné le design et l’exécution de ses planches, à la fois propres, efficaces et inspirées.
L’expérience du mangaka en la qualité d’enseignant (au Japon, il enseigne la création de mangas dans une école privée) lui permet sans aucun doute d’affermir un style déjà bien affirmé : il est encore jeune mais il a le niveau et l’exigence d’auteurs plus âgés. Quelques designs (de mutants) ou clins d’œil graphiques (une façade d’immeuble détériorée marquant un X géant) rappellent qu’il lit par ailleurs pas mal de comics même si :
« ça ne m’influence pas spécialement, moins en tous cas que les mangas de SF comme AKIRA ou les jeux-vidéos mettant en scène des pouvoirs psys ».
70% de son potentiel
Contaminés par une sorte de virus informatique, nos héros sont dotés de codes – des pouvoirs classés en une poignée de catégories (améliorations physiques, manipulation de la matière, hacking des autres codes, etc.) – et qui nécessitent des mises à jour régulières sous peine d’expirer et de tuer leur hôte. A l’image de tous les aspects scénaristiques de MALICIOUS CODE, Ikeno a opté pour la simplicité et privilégié l’efficacité aux stratégies complexes et longues à mettre en place à la JOJO’S BIZARRE ADVENTURES.
« Il a été assez difficile de mettre en place les codes et leurs particularités. A la base, je voulais simplement dessiner des combats psychiques mais il fallait quand même expliquer le fonctionnement des pouvoirs, les règles d’utilisation. J’aime bien bricoler des ordinateurs, alors tout ce qui touche à l’informatique ne m’est pas étranger, je n’ai pas eu besoin de faire de vraies recherches. Quant à l’aspect médical des virus, j’ai eu accès à la documentation de ma mère, qui est infirmière ».
MALICIOUS CODE n’est pas un grand manga. C’est une série volontairement simpliste, bien ficelée, hyper bien dessinée, jamais ennuyeuse et il y a même toujours une bonne phrase ou une idée accrocheuse pour relever de courtes scènes qui sinon seraient anodines : il développe ainsi un urbanisme fantomatique et mortifère, il sait jouer de traits d’humour inattendus et au passage rendre sympathiques des personnages inquiétants. Bref, à force de réaliser du mieux qu’il peut cette série aux ambitions limitées, Masahiro Ikeno montre qu’il a plus de talent que ce que MALICIOUS CODE lui permet d’exprimer et qu’il est définitivement un auteur à suivre.
Propos recueillis à Japan Expo 2013 par Laurent Lefebvre. Photo Laurent Koffel. Remerciements aux éditions Komikku et à Saé Cibot (traduction).
Pour en savoir plus sur le métier d’enseignant de Masahiro Ikeno : http://www.journaldujapon.com/2013/07/masahiro-quand-le-mangaka-se-fait-enseignant.html
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